Juin 2008 : le Maghreb s’enflamme

La rue gronde au Maghreb

COME4NEWS

Des émeutes pour le pain ou les libertés : Comme s’ils se sont passé le mot, les jeunes du Maghreb investissent la rue pour éructer leur colère d’être des éternels laissés-pour-compte.

Alors que le vent des émeutes vient juste de se calmer dans plusieurs régions d’Algérie, des échauffourées ont brusquement éclaté au Maroc et en Tunisie. Des pays, où l’émeute était jusque-là quasi-insoupçonnable du fait que les régimes étouffent toute velléité de protesta, se voient ainsi débordés par une poussée d’adrénaline d’une jeunesse livrée à elle-même.

C’est pourquoi les étincelles en provenance de nos voisins de l’Est et de l’Ouest sont à prendre au sérieux tant elles dénotent d’un malaise social et d’un désenchantement populaire que les autorités des deux pays ne peuvent cacher dans le brouillard des bombes lacrymogènes qui enveloppe depuis samedi les villes de Sidi Ifni (Maroc) et de Redeyef (Tunisie). Que les affrontements entre les forces de l’ordre et des jeunes chômeurs dans ces deux villes du Maroc et de la Tunisie surviennent au même moment sont un signe qui ne trompe pas quant à la similitude des souffrances des jeunes de ces pays avec l’Algérie.

A Sidi Ifni, un port de pêche du Maroc situé à 900 km au sud-ouest de Rabat, la violence était telle samedi dernier que les organismes des droits de l’homme parlent de 8 morts et de plus de 44 blessés. Bien que les autorités de sa majesté refusent de reconnaître qu’il y a eu mort d’homme, cela ne diminue pas pour autant le niveau de violence de ces émeutes des chômeurs. Tout a commencé le 30 mai dernier quand une centaine de jeunes déçus de n’avoir pas été tirés au sort pour le recrutement, a bloqué la porte d’accès au port de Sidi Ifni dont la pêche est la principale ressource économique. La réaction aussi violente qu’intempestive des forces de l’ordre a tôt fait de déclencher un véritable corps-à-corps avec les jeunes dés?uvrés de Sidi Ifni. Il n’en fallait pas plus pour que les échauffourées se répandent et se transforment en émeutes à l’algérienne. Bilan officiel : 44 blessés dont 27 parmi les forces de l’ordre, alors que d’autres sources évoquent près d’une dizaine de morts. Mais au-delà de la bataille des chiffres, il faut surtout méditer sur les raisons de la colère. Les jeunes de Sidi Ifni réclament en effet « une répartition équitable des richesses de la ville, le statut de préfecture de la cité, le réaménagement du port et la construction d’un nouvelle rocade côtière », rapporte l’AFP citant un élu local.

L’UMA de… la révolte

En clair, les jeunes de cette localité revendiquent le travail pour subvenir à leurs besoins. Et, coïncidence frappante, les jeunes de Redeyef, une ville riche en phosphate située à Gafsa, à 350 km au sud-ouest de Tunis, se sont révoltés le même jour contre les autorités à cause du « chômage, du renchérissement du coût de la vie, de la corruption et du clientélisme ». Là aussi, les jeunes dés?uvrés ont réagi violemment à une manipulation des résultats d’un concours de recrutement à la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG), principal employeur de la région, au profit de certains notables. On déplore au moins un mort et plusieurs blessés. A Redeyef comme à Sidi Ifni, le chômage et autres revendications d’ordre social sont à l’origine de la révolte. Et pour éviter l’effet boule de neige, l’armée tunisienne s’est vite déployée dans la ville pour « empêcher toute menace à l’ordre public ». Mais le mur de la peur est tout de même tombé. La Tunisie, qui est réputée être une grande caserne, fait désormais face à une « armée » de chômeurs (le taux officiel est de 14%) qui ne recule devant rien pour se faire entendre. Qu’ils soient Algériens, Marocains ou Tunisiens, les jeunes révoltés n’ont désormais qu’un seul exutoire : la rue. Moralité, les maux de la jeunesse au Maghreb n’ont pas de nationalité. A défaut d’une union maghrébine qui aurait pu booster les économies des trois pays, on assiste plutôt à la « naissance » d’un rassemblement maghrébin de la colère. C’est le terrible boomerang de la jeunesse de la région aux régimes des trois pays.

Par Hassan Moali – El Watan09.06.2008

Troubles sociaux meurtriers au Maroc et en Tunisie

09.06.08

De violentes émeutes ont éclaté ces derniers jours à Sidi Ifni et Gafsa, localités situées respectivement au Maroc et en Tunisie. C’est le chômage, couplé à l’absence de perspectives, qui a conduit, les 6 et 7 juin, des chômeurs à descendre dans les rues de ces deux petites villes,

A Sidi Ifni (20 000 habitants), port de pêche d’une région berbère contestataire, limitrophe du Sahara occidental, une violente altercation a opposé, samedi, les forces de l’ordre à des jeunes manifestants. Ceux-ci bloquaient le port pour contester un tirage au sort organisé un peu plus tôt par la municipalité pour l’embauche de trois personnes.

Le bilan de l’échauffourée qui a suivi est incertain. Les associations locales, notamment Aït Baamarane et le Centre marocain des droits humains (CMDH), avancent le chiffre d’au moins deux morts et de nombreux blessés. Information confirmée par la chaîne de télévision Al-Jazira, qui fait état de deux à huit morts.

Les autorités marocaines, quant à elles, parlent de 44 blessés et démentent énergiquement qu’il y ait eu des morts. Elles accusent Al-Jazira de « légèreté dans la collecte de l’information ». Reste que l’accès à l’hôpital de Sidi Ifni est bloqué par les forces de l’ordre, ce qui alimente les rumeurs.

Dans le sud tunisien, pendant ce temps, la région de Gafsa (120 000 habitants) s’enflammait à nouveau. Vendredi, un jeune de 25 ans a été tué par balles à Redeyef (l’un des quatre bassins miniers de Gafsa), lors d’affrontements avec les forces de l’ordre. Déjà, en mai, un jeune manifestant était mort électrocuté alors qu’il tentait de couper des câbles électriques. A l’annonce de ce nouveau décès, la colère a été telle que l’armée a été appelée en renfort et s’est déployée, samedi, à la place de la police.

Voilà cinq mois que les quatre bassins miniers de Gafsa, ville déshéritée de l’intérieur où le taux de chômage dépasse les 30 %, sont secoués par des émeutes. Le seul employeur de la région, la Compagnie des phosphates de Gafsa (CMG), n’embauche plus depuis des années, en raison de la mécanisation des mines. Le nombre des employés est passé de 14 000 dans les années 1980 à 5 000. Le 7 janvier, 81 postes ont toutefois été proposés. Plus de 1 000 candidats se sont présentés. Dès que la liste des « gagnants » a été affichée, la révolte a éclaté. Selon Hajji Adnane, porte-parole du mouvement de Redeyef, « les embauches étaient affaire de corruption et de népotisme ».

Les mineurs de Redeyef se plaignent d’être otages d’un potentat local qui est à la fois patron, délégué syndical et député du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), le parti au pouvoir. Ils accusent également la police de se livrer régulièrement à des provocations et à des pillages. Les femmes sont aux premières loges de ce combat contre le pouvoir. Fait exceptionnel : elles étaient nombreuses, samedi, à assister à l’enterrement du jeune tué la veille par la police.

Florence Beaugé

La colère monte chez les Marocains et les Tunisiens

9 juin 2008

Les conditions sociales précaires font sortir Marocains et Tunisiens dans la rue. Dans les deux pays, des manifestations ont été durement réprimées

Si des émeutes ont éclaté à la fin du mois de mai dernier dans la plus grande ville de l’ouest de l’Algérie [Oran] en signe de protestation contre la rétrogradation en division inférieure du club local de football, le Maroc et la Tunisie n’ont pas été non plus épargnés par ce phénomène de violence qui commence à prendre des proportions inquiétantes dans les trois pays du Maghreb.

Inconnues jusque-là du grand public, les localités de Redeyef, dans le sud-ouest de la Tunisie, et de Sidi Ifni, dans l’extrême sud du Maroc, se sont retrouvées sous les lampions en raison des violentes manifestations qui les ont secouées. Contrairement à l’Algérie, ce n’est pas le sport qui est derrière cette grosse colère ; ce sont les conditions sociales précaires qui ont fait sortir des citoyens tunisiens et marocains. Dans les deux cas, les manifestants ont donné libre cours à leur ire. Ils ne se sont pas privés de dénoncer les pratiques des administrations publiques que sont le favoritisme et la bureaucratie dans l’attribution des postes de travail – pour une fois qu’il y en avait. L’augmentation des prix de produits de première nécessité n’est certainement pas étrangère à cette expression de colère, laquelle a été, bien sûr, sévèrement réprimée par la force, ajoutant à la frustration générale. [En Tunisie, un jeune homme de 25 ans a été tué le 6 juin à Redeyef, lors d’affrontements survenus entre la police et les manifestants.]

Devant l’impossibilité de se faire entendre par les responsables concernés quand elles se sentent lésées dans leurs droits, sortir dans la rue est devenu l’unique moyen de protestation pour les masses populaires dans les pays du Maghreb, au risque de se faire matraquer par les forces de sécurité. Ce phénomène, qui prend de l’ampleur, donne une mauvaise image des régimes, notamment en direction de l’Occident, lequel est à l’affût des moindres signes de contestation populaire pour lancer ses mises en garde au nom des droits de l’homme.

Le Maroc et la Tunisie en proie à de violents affrontements entre chômeurs et forces de l’ordre

Lundi 9 Juin 2008

Le calme est revenu samedi soir à Sidi Ifni (sud-ouest marocain) après des affrontements entre les forces de l’ordre et des manifestants qui bloquaient l’entrée du port de la ville, indique TV5. Ces échauffourées ont fait 44 blessés dont 27 parmi les forces de l’ordre. Mais selon le Centre marocain des droits humains (CMDH), le bilan serait plus lourd. Le porte-parole du gouvernement marocain dément, quant à lui, qu’il y ait eu le moindre décès. La chaîne qatarie Al Jazzera est aujourd’hui accusée par le Maroc de « désinformation » après avoir rapporté des informations « erronées » sur la mort d’une dizaine de personnes. Ces affrontements rappellent ceux de Redeyef (sud-ouest tunisien) où des centaines d’habitants, en grande majorité des chômeurs, manifestent depuis janvier pour de meilleurs conditions de vie. Un homme a par ailleurs été tué samedi par les forces de l’ordre qui tentaient de faire régner le calme dans la ville. ()

Après l’Egypte et l’Algérie, des émeutes sociales ont été violemment réprimées au Maroc et en Tunisie.

lundi 9 juin 2008.

En Tunisie, la contestation dure depuis des semaines dans le bassin minier de Gafsa et, apparemment, les pouvoirs publics n’ont pas trouvé la bonne méthode pour organiser le dialogue social. Un manifestant a été tué vendredi par balle à Redeyef et plusieurs ont été blessés dans la répression policière d’un mouvement qui n’a cessé de durcir. C’est le deuxième décès enregistré dans la région minière de Gafsa, en proie à une contestation sociale sans précédent dans une Tunisie très surveillée. La contestation révèle une autre image sociale d’un pays qui affiche des taux de croissance élevés et qui est donné en exemple par les institutions financières internationales. Ce décor social est celui des inégalités et du chômage qui touche de nombreux diplômés.

Au Maroc, le même phénomène est enregistré. Et le gouvernement semble choisir la diversion commode en s’en prenant avec virulence à la chaîne Al-Jazira accusée de désinformation. Pourtant, la chaîne qatarie n’a pas inventé ce qui s’est passé à Sidi Ifni au Maroc, où de violents affrontements ont opposé des chômeurs aux forces de l’ordre. Le gouvernement marocain affirme que le bilan de ces affrontements n’est « que » de 44 blessés « légers ». Mais il est contredit, non par Al-Jazira mais par le Centre marocain des droits humains (CMDH), qui fait état d’un bilan plus lourd, entre « un et cinq morts ». Il faut d’ailleurs vivement souhaiter que le gouvernement ait raison car il n’y a rien de réjouissant à ce qu’il y ait des morts dans une simple manifestation de chômeurs.

Pour ceux qui pensaient que l’émeute n’était qu’algérienne, il faut bien élargir la vision. Elle s’étend à l’ensemble des pays du Maghreb. Elle touche également l’Egypte, où les contestataires essayent aussi d’inventer de nouvelles formes d’action pour éviter l’émeute qui conduit inéluctablement à la répression. Le nord de l’Afrique donne une image frappante d’unité dans l’ébullition sociale, organisée parfois, désordonnée le plus souvent. Il faut bien chercher un dénominateur commun à ce phénomène. Sans doute faut-il le trouver dans la faiblesse du dialogue social dans des pays où le souci obsessionnel du contrôle politique, voire policier l’emporte sur l’impératif d’avoir une représentation politique et sociale authentique.

Synthèse de Rayane, http://www.algerie-dz.com
D’après le Quotidien d’Oran

~ par Alain Bertho sur 9 juin 2008.