Démission du PCF avril 2004

Lettre à mes amis communistes

lundi 12 avril 2004, par Alain Bertho

Chers camarades

Nous avons vécu la fin d’un siècle, d’une époque, la nôtre. Un autre temps se dessine.

C’est dans ce clair obscur que les monstres rodent, tenants de la stratégie de la peur, du traitement policier des questions sociales, de l’état de guerre permanent, du recul des libertés, de la haine de l’autre et de la guerre entre les gens eux-mêmes..Car leur violence est à hauteur de leurs craintes. Le naufrage des espoirs du siècle qui s’est clos n’a pas anéanti la capacité de l’humanité à rêver d’être encore plus humaine. Le neuf est déjà là, annonçant dans toutes les langues de la planète qu’un autre monde est possible et nécessaire, que ce monde est un monde de paix, de dignité, de solidarité et de liberté.Cette nouvelle force solidaire, qui dessine dès aujourd’hui une autre façon d’être ensemble, ne renie pas les valeurs et les principes des combats anciens. Mais elle se rassemble et avance dans des modalités totalement neuves de démocratie permanente, de respect intangible des singularités qui la composent, de capacité obstinée à s’ouvrir sans cesse à de nouveaux acteurs et à de nouveaux enjeux.

Ce qui a le moins vieilli au passage du siècle est sans doute ce communisme conçu comme « mouvement réel qui abolit l’ordre des choses existant ». Mais cette continuité est innommable. Car ce qui a le plus vieilli, dans le même mouvement, c’est le communisme politique. Non seulement parce qu’il est définitivement associé au naufrage final du XX° siècle et de ses espérances. Mais plus profondément encore parce que la conception du pouvoir, de la lutte politique et de l’organisation qui le fonde n’est plus de ce temps.

Quel est aujourd’hui l’enjeu politique majeur pour notre vieux continent ? Faire que la force sociale et citoyenne nouvelle qui s’exprime de diverses façons au travers des forums, des mobilisations sociales et de leur convergence, voire, en France, de l’Appel contre la guerre à l’intelligence lancé par Les Inrockuptibles, parle directement à la première personne du pluriel au sein de l’espace politique.

L’enjeu est de faire de ce qu’on nomme le mouvement social, un acteur politique direct. Non pour faire table rase du champ de la politique institutionnelle dont les partis sont une des chevilles ouvrières, mais pour y dynamiser un processus de transformation démocratique radical.

Ce n’est qu’à ce prix que les peuples retrouveront la force non seulement de défendre des droits qui sont aujourd’hui l’objet d’attaques sans précédent, mais de reprendre un cycle de conquêtes collectives et publiques. Ce n’est qu’à ce prix que sera enfin clos le cycle infernal de la radicalité protestataire toujours vaincue et du renoncement gestionnaire et social libéral.

Si des organisations politiques de gauche, à commencer par le parti communiste, peuvent aujourd’hui être partie prenante de cette nouvelle dynamique, l’expérience a montré qu’ils ne pouvaient plus en être les initiateurs, qu’ils en étaient difficilement des acteurs et parfois des obstacles.

Ces dernières années, à l’échelle du monde comme au niveau le plus local, tout ce qui a reconstruit de l’espoir, de la solidarité et de l’alternative s’est initié sans les partis politiques et souvent volontairement sans eux. Si les partis restent un lieu d’interface avec les institutions, ils ne sont plus des lieux d’élaboration. Ils ne sont plus des lieux d’initiative. Ils ne sont plus des agents de rassemblement de l’action transformatrice des femmes et des hommes d’aujourd’hui.

Le refus de la guerre, le refus de toutes les discriminations, du traitement sécuritaire et policier de la question sociale, de la guerre faite aux pauvres, de la police de la pensée et des mœurs sont au cœur des enjeux contemporains d’humanité. Sur ces fronts, des organisations sociales, des associations, des femmes et des hommes, membres ou non d’un parti politique, se battent. Mais aujourd’hui aucune organisation politique de gauche, je dis bien aucune, n’a sur l’ensemble de ces fronts une position claire, courageuse et propre à dynamiser les résistances. Cette déficience collective n’est pas le fruit du hasard : elle est le symptôme de l’épuisement d’une fonction sociale. Non de la disparition des partis, mais du déplacement et de la réduction de leur rôle politique.

Dire cela n’est en aucun cas jeter l’opprobre sur les femmes et les hommes qui (notamment aux PCF) les animent avec dévouement et sincérité. C’est porter un regard lucide sur les effets désastreux d’un mode de fonctionnement et d’une culture d’organisation qui, trop souvent, transforme l’engagement en identité frileuse, la solidarité en esprit de clan, les valeurs de libération en enjeu de pouvoir, la révolte en conformisme interne, les moyens en fin, stérilisant l’investissement sincère de tant de militants.

Je connais les militants communistes avec qui je partage tant de combats essentiels. De la défense des sans papiers à celle des chômeurs, du Forum social à la défense des services publics, pour les retraites, l’école, des communistes sont toujours là. Mais cette ténacité ne doit plus grand chose aujourd’hui au parti qui en revendique la paternité et capte à son profit le capital de confiance qui se construit ainsi au quotidien.

Les partis sont-ils amendables ? Le PCF peut-il se refonder ? Je l’ai longtemps pensé et j’y ai consacré beaucoup de mes forces et de mon temps. L’expérience m’a convaincu que cette perspective était illusoire.

Engagé dans une entreprise collective passionnante pour la construction d’une alternative citoyenne, j’ai déclaré publiquement en novembre 2003 que je me mettais « en congé de parti » pour mieux y être utile. Cette expérience, destinée sans aucune doute à se poursuivre et à s’élargir, m’a convaincu qu’il était nécessaire que ce « congé » devienne définitif, par soucis d’efficacité et de cohérence, mettant ainsi fin à un engagement de vingt six ans que je ne renie pas mais dont, aujourd’hui, je ne vois plus le sens. Il ne m’est personnellement plus possible de tenter de faire face à l’époque de l’intérieur d’une culture et de pratiques dont l’usure est manifeste et la contre productivité récurrente. Je préfère consacrer l’énergie qui me reste aux combats du monde réel que l’épuiser dans des luttes internes qui risquent toujours d’obscurcir la vision qu’on a de la vie.

J’entends déjà nombre de mes amis me dire que cette extrémité n’est peut-être pas nécessaire, que cette incompatibilité est exagérée, qu’il y a encore des combats à mener ensemble au sein de l’organisation partisane. Cette insistance constitue justement le fond de ma divergence.

Notre responsabilité est grande à tous. Chacun de nous, sans exception, est confronté à ses propres choix, ses propres engagements, ses propres responsabilités. Et nul ne peut s’ériger en modèle. La force politique dont nous avons tous besoin est en train de naître. Elle est l’œuvre de multitudes de femmes et d’hommes qui d’ores et déjà tissent la toile de l’humanité que nous voulons être. Il est de notre responsabilité personnelle d’y prendre part là où nous sommes, avec modestie.



~ par Alain Bertho sur 26 avril 2004.